Les traditions ne sont plus ce qu’elles étaient jadis, car chaque génération veut marquer leurs empruntes, affirme Lenclude. Ce qui est normal parce que chaque génération a leur vision du monde. Aujourd’hui, les traditions littéraires des XIXe et XXe siècles, qui ont honoré la culture haïtienne et qui lui ont donné une représentation culturelle mondiale par des chefs d’œuvres de nos distingués écrivains, ne sont plus. Avec la mondialisation de la culture, qui assure la domination des valeurs culturelles des pays riches sur ceux dits périphériques, a altéré encore plus l’identité culturelle de ces pays périphériques qui ne disposent pas de grandes industries culturelles. Ceci a provoqué un problème de repère pour cette nouvelle génération d’artistes et d’écrivains littéraires haïtiens.
La littérature haïtienne est le réservoir de nos traditions et le défenseur de notre haïtianité. À sa naissance, nos premiers écrivains, poètes et dramaturges, se sont engagés dans la lutte pour la protection de notre liberté et la mise en valeur de nos traditions ancestrales. Les préindigénistes, du cénacle des Frères Nau aux éclectiques haïtiens, ont puisé leurs inspirations de la vie quotidienne et dans notre histoire nationale pour produire leurs œuvres. Ces mouvances littéraires ont donné naissance à des historiens érigés comme le gardien de notre mémoire historique, et la sauvegarde de la mémoire des Amérindiens à travers des pièces de théâtre. L’indigéniste du XXe siècle littéraire haïtien a abordé la problématique de l’identité culturelle en plus de profondeur. Ces tenants ont produit des œuvres littéraires qui ont projeté une représentation sociale et culturelle de l’être haïtien démarquée des préjugés francophiles des élites. Ils ont créé une haïtianité fondée sur les origines africaines. Le folklore, le vodou, la vie quotidienne de la paysannerie étaient les sujets dominants de ce mouvement littéraire et artistique. L’indigéniste a abordé l’art haïtien en évoquant les traces et la mémoire collective de nos grands-parents habités dans les coins les plus reculés du pays, coins nommés « en dehors », abandonnés par l’Etat haïtien. Pour ceux, ces paysans sont le gardien des traditions africaines qui constituent en partie le patrimoine culturel immatériel du pays. L’indigéniste a laissé ces traces dans la création plastique et littéraire haïtienne.
Les œuvres picturales d’Hector Hyppolite, de Saint Brice, de Tiga etc. sont l’exemple probant de la représentation des croyances traditionnelles africaines. Aussi les œuvres de Jacques Roumain, Felix Morisseau-Leroy, Davertige, Jacques Stephen Alexis et de Franckétienne continuent à mettre en valeur la langue maternelle de tous les Haïtiens et les valeurs de la paysannerie haïtienne et se lancent dans la lutte pour le changement social. D’où, une littérature négritude qui allait façonner la nouvelle génération d’écrivains contemporains.
En somme, les productions littéraires haïtiennes, au cours de son histoire, recèlent des traces immatérielles de la colonisation, de l’esclavage et de la résistance contre toute forme d’oppressions qui ont façonné la mémoire collective des Haïtiens. Ce qui met cette littérature au rendez-vous avec l’histoire. Ces représentations allaient changer de forme avec la littérature contemporaine par des écrivains évoluant dans la diaspora qui veulent créer une littérature militante, de libération, gardienne de la démocratie en s’inspirant de la réalité sociopolitique du pays. Cette littérature s’est engagée, en premier lieu, dans un combat contre la dictature des Duvalier ; et, en deuxième lieu, elle met en valeur des grandes figures féministes. Elle ajoute de nouveau courant et système de pensé comme le réalisme merveilleux et le spiralisme qui lui donnent une dimension internationaliste.
Ainsi, cette activité culturelle s’inscrit dans une dynamique de remémoration des représentations culturelles et sociales produites par la littérature haïtienne au cours de son histoire en commémorant certaines grandes figures emblématiques qui ont su doter l’art haïtien de grandes chef d’œuvres. Ces figures représentent de lieux de mémoires pour certains et de trésor humain vivant pour d’autres en faisant référence à Jacques Stephen Alexis et Franckétienne. Elle se veut patrimonialiser nos écrivains littéraires en honorant Jacques Stephen Alexis, Franckétienne et Dany Laferrière. Ce dernier s’est battu contre la dictature de Papa Doc en Haïti. Sur ce, ces écrivains seront représentés par des créations plastiques qui les immortalisent et, du coup, font d’eux des repères pour la nouvelle génération. Au fait, cette activité exprime dans un autre langage les représentations, les traces et mémoires qui construisent notre haïtianité à travers les écrits de nos grands littéraires.
Posté à 5 mai 2021